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Arlequin, Poli Par l’Amour – Marivaux/Thomas Jolly.

Deuxième article concernant les représentations de théâtre ! Comme je travaille dans un théâtre à Aix-en-Provence en parallèle de mes études de lettres, j’ai souvent l’occasion d’assister à différentes représentations, et l’idée de partager avec vous mon ressenti, tout comme celui que j’ai après un bon livre, m’enchante. Le théâtre est une expérience qui se vit et qui se partage, et qui nourrit notre cerveau d’imagination. C’est toujours agréable de vois les pièces lues, plus jeune, prendre vie sous nos yeux à travers les différentes adaptations des metteurs en scène et qui offre parfois une vision nouvelle à des écrits désuets.

C’est exactement ce dont il est question dans l’adaptation présente de la pièce Arlequin, Poli Par l’Amour de Marivaux, mis en scène par Thomas Jolly.

ADAPTATION

MISE EN SCENE, SCENOGRAPHIE : Thomas Jolly
ASSISTANTE A LA MISE EN SCENE : Charline Porrone
CREATION LUMIERE : Thomas Jolly, Jean-François Lelong
CREATION ET REGIE COSTUMES : Jane Avezou
REGIE GENERALE : Jean-François Lelong
REGIE SON ET PLATEAU : Matthieu Ponchelle, Jérôme Hardouin.
PHOTOGRAPHIE : Nicolas Joubard.
DUREE : 1h30

ACTEURS

ROMAIN BROSSEAU
REMI DESSENOIX
CHARLOTTE RAVINET
CLEMENCE SOLIGNAC
ROMAIN TAMISIER
OPHELIE TRICHARD

LE DRAMATURGE, LE METTEUR EN SCENE, LA PIECE.

Marivaux (1688-1763) est un dramaturge des Lumières, qui donnera plus tard son nom au « marivaudage » qui se définit comme la recherche de l’expression du sentiment amoureux, et comme une « attitude, propos d’une galanterie délicate, recherchée, subtile, en particulier dans le domaine amoureux. » (cf. CNRTL). C’est d’ailleurs de lui que proviennent les figures de styles « faire parler son cœur » ou encore « mettre en valeur« , ce qui dénote de sa profonde influence dans les domaines littéraires et linguistiques. Cette définition provient des travaux effectué par le dramaturge tout au long de sa vie : son théâtre se concentre essentiellement autour de la devise de la comédie latine, castigat ridendo mores, qui signifier « corriger les mœurs par le rire » (Molière construira également son théâtre autour de cette devise, en mettant en parallèle le castigat à la catharsis). Il reprend les personnages-types de la Commedia dell’arte, notamment le personnage d’Arlequin, pour mieux l’insuffler dans un théâtre plus philosophique et littéraire, plus morale. Ce personnage aux multiples facettes, caractérisé par son costume de losanges aux milles couleurs, est présent dans pas moins de neuf pièces chez Marivaux, écrites entre 1720 et 1737. La pièce Arlequin, Poli Par l’Amour, en est la première.

Thomas Jolly est un metteur en scène français qui voit le jour en 1982. En 2006, il adapte la pièce de Marivaux avant de la recréer en 2011. Il met surtout en scène deux des pièces de Shakespeare, Henri IV et Richard III, et emporte même le Molière du metteur en scène d’un spectacle de théâtre public en 2015 pour Henri IV.

Nous serons amoureux, évidemment, le moins qu’on puisse. Et pas toujours en silence, pénibles et envahissants, et indignes, c’est bien, et pas toujours mélancoliques, et pas toujours fidèles et purs, et pas toujours, je ne sais plus, mais amoureux, ça oui.

Arlequin, Poli Par l’Amour, est une pièce en un acte, et en prose. Elle raconte l’histoire d’un garçon que la nature a fait si beau qu’elle n’a pu lui donner de l’esprit, Arlequin. La fée s’éprend de l’enfant et sa beauté, et séquestre Arlequin avec l’espoir de se faire aimer de lui et de l’épouser un jour, alors qu’elle doit se marier avec Merlin, le maître de son domestique Trivelin. La fée désespérée de se faire aimer d’Arlequin, cherche à lui donner de l’esprit, mais œuvre pour une autre. Face à toues les tentatives de la fée pour donner de l’esprit à ce jeune homme naïf et niais, Arlequin ne ressent que de l’ennui et de l’appétit ; elle le congédie, et il rencontre alors la belle Silvia dans les prairies. Silvia est ennuyée par un berger qui l’aime et la poursuit dans l’espoir de se faire aimer en retour ; sur ses entrefaites, la jeune fille rencontre Arlequin et les deux jeunes gens tombent amoureux l’un de l’autre. En guise d’affection, Silvia accepte de donner son mouchoir à Arlequin. Celui-ci rentre chez la fée, étonnée de lui trouver soudainement de l’esprit et des manières, et elle le surprend en train de baiser le mouchoir de Silvia. La fée comprend alors qu’elle n’est pas à l’origine de ce changement chez Arlequin, et décide de surprendre les amants en plein marivaudage. Folle de jalousie, elle les enlève et les manipule pour les pousser à mettre fin à leur relation, mais son stratagème est mis en échec par le domestique Trivelin qui ne supporte pas l’infidélité de la fée envers son maître Merlin, qu’elle trompe. Grâce aux conseils de Trivelin, Arlequin parvint à dérober la baguette de la fait, qui se trouve privée de pouvoir. Le jeune homme décide de se venger sur la fée et les serviteurs en les rossant, mais Silvia le convainc d’accorder son pardon. Désormais les maîtres, Arlequin décide de faire organiser une fête en son honneur et celui de Silvia.

Adieu donc, belle Silvia ; songez quelquefois à moi.

Le Berger

Je lui pardonne ; mais je veux qu’on chante, qu’on danse, et puis après nous irons nous faire roi quelque part.

Arlequin

Thomas Jolly et sa distribution nous propose une adaptation étourdissante, saupoudrée de confettis dorés, de guirlandes lumineuses et d’une couche de rock’n’roll pour un spectacle explosif. L’amour d’Arlequin et de Silvia, contrarié par la fée jalouse, se scelle autour d’un étonnant jeu de lumières et de scènes de danses et de chants rajoutées de toutes pièces par le metteur en scène pour nous plonger au cœur de l’action, qui se déroule telle que dans un film hollywoodien. Nous nous immergeons complètement dans la pièce, agrémentée de chansons et de danses rock’n’roll qui la modernise pour la rendre excessivement contemporaine.

Femme tentée et femme vaincue, c’est tout un.

Trivelin

A l’image d’un conte de fée qui s’accompagne d’une descente aux enfers – celle de la fée puis d’Arlequin – le spectacle nous offre des tableaux impressionnants, riches en émotions. Thomas Jolly a su parfaitement enrichir le texte avec des éléments de son cru, comme les musiques de métal, la gigue dansée sur une ambiance rock, variant avec les clichés du cinéma – meurtre deviné uniquement par les silhouettes du coupable et de son revolver pointé sur la victime, scène de baiser inoubliable, tendre et qui provoque un véritable feu d’artifice, la colère de la sorcière qui se soulève littéralement et souffle à plein poumons ! De même, de nouvelles scènes comiques viennent d’accrocher au texte orignal dans une parfaite harmonie, ce qui nous permet de rire encore plus fort.

LE BERGER : Je me retirerai donc, puisque c’est vous plaire ; mais pour me consoler, donnez-moi votre main, que je la baise.
SILVIA : Oh ! non ; on dit que c’est une faveur, et qu’il n’est pas honnête d’en faire ; et cela est vrai, car je sais bien que les bergères se cachent de cela.

Il a de l’esprit, Trivelin, il en a, et je n’en suis pas mieux ; je suis plus folle que jamais. Ah ! quel coup pour moi ! Que ce petit ingrat vient de me paraître aimable ! As-tu vu comme il est changé ? As-tu remarqué de quel air il me parlait ? combien sa physionomie était devenue fine ? Et ce n’est pas de moi qu’il tient toutes ces grâces-là !

La fée à Trivelin

Un univers à la croisée du gothique et fantastique, le texte est réellement mis en valeur par cette contemporalité qui lui est offerte et qui surprend autant qu’elle nous enchante. Un excellent moment en perspective ! Tout au long de la semaine de représentation, plusieurs lycéens sont venus assister au spectacle et la plupart ne parvenait pas à croire que le texte de Marivaux – inchangé malgré tous les rajouts de Thomas Jolly – puisse être aussi actuel. L’adaptation dessine en effet les contours de réalités plus sombres et qui n’apparaissent peut-être pas dans la pièce lorsqu’elle est lue ; celle du méfait du pouvoir et des ravages de la jalousie. La fée devient sorcière, cruelle, sombre, et Arlequin, le jouet du destin qui devient aussi mauvais que la sorcière dès qu’il lui dérobe sa baguette. Nous y retrouvons tous les codes de romance contemporaine et du fantastique tel que nous le lisons encore aujourd’hui, ce qui montre à quel point le texte de Marivaux est actuel. D’ordinaire, j’aime les représentations classiques, celles qui nous transportent dans le lieu et l’époque de la création de la pièce, mais ici, je ne parviens pas à imaginer une représentation qui résonne plus juste que celle-ci !

Tous ceux qui vous ont dit cela ont fait un mensonge ; ce sont des causeurs qui n’entendent rien à notre affaire. Le cœur me bat quand je baise votre main et que vous dites que vous m’aimez, et c’est marque que ces choses-là sont bonnes à mon amitié.

Arlequin à Silvia

La bêtise d’Arlequin est détruite par l’amour qu’il ressent, et Thomas Jolly nous laisse entrevoir les démons qui sommeillent en lui, déjà abordés dans l’Enfer de la Divine Comédie de Dante sous le personnage d’Alichino. Par ailleurs, le nom d’Arlequin provient très certaine de Hellequin, un diablotin malveillant, le parallèle est donc tout trouvé. Mais plus que les méfaits du pouvoir, Thomas Jolly revendique avant tout à travers cette pièce le droit d’exister librement et d’aimer qui l’on veut, sans contrainte, pour pouvoir grandir à son rythme ; il fait ainsi résonner plus fort la voix de Marivaux, qui offre une fin digne de ce nom à nos deux héros, malgré la rancœur qui persiste.

Ah ! la méchante femme ! je tremble encore de peur. Hélas ! peut-être qu’elle va tuer mon amant, elle ne lui pardonnera jamais de m’aimer.

Silvia

J’ai adoré cette pièce ; je l’ai vue trois fois, et par trois fois, j’ai été conquise. C’est en élaborant mon article que j’ai appris qu’elle existe depuis près de quatorze ans ; c’est véritablement une magnifique adaptation qui porte bien son nom puisque le texte n’est pas seulement mis en scène mais véritablement accompagné par des artifices qui lui confèrent une puissance et une splendeur nouvelles. A ne surtout pas manquer !

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