
Aujourd’hui, je propose de vous parler d’un classique écrit il y a un peu plus d’un siècle, et d’une incroyable densité ; j’ai nommé la Métamorphose, de Kafka ! Ce n’est pas la première fois que je suis confrontée à cette lecture, puisqu’elle est apparue au programme d’un de mes cours en troisième année d’études, et, j’avoue, j’ai un peu – voire complètement ! – laissé tomber cette lecture. C’est l’un des seul romans que je n’ai jamais réussi à lire pour mes cours.
Et comment vous dire que je regrette ! Quelle magnifique lecture ! J’avais énormément d’aprioris sur celle-ci, dont son univers très étrange, mais avouons-le ; c’est tout ce qui fait le charme et la profondeur du roman !

À de tels instants, il fixait les yeux aussi précisément que possible sur la fenêtre, mais hélas la vue de la brume matinale, qui cachait même l’autre côté de l’étroite rue, n’était guère faite pour inspirer l’allégresse et la confiance en soi.

TITRE : La Métamorphose
AUTEUR : Franz Kafka
ÉDITÉ PAR : Livre de Poche
NOMBRE DE PAGES : 157 pages
DATE DE PARUTION : 1915
GENRE : Littérature contemporaine
PRIX : 2,30€
RÉSUMÉ : Lorsque Gregor Samsa s’éveilla un matin, au sortir de rêves agités, il se trouva dans son lit métamorphosé en un monstrueux insecte. Il reposait sur son dos qui était dur comme une cuirasse, et, en soulevant un peu la tête, il apercevait son ventre bombé, brun, divisé par des arceaux rigides, au sommet duquel la couverture du lit, sur le point de dégringoler tout à fait, ne se maintenait que d’extrême justesse. D’impuissance, ses nombreuses pattes, d’une minceur pitoyable par rapport au volume du reste, papillonnèrent devant ses yeux.

La Métamorphose raconte l’histoire de Gregor Samsa, un jeune homme qui vit avec ses parents et sa soeur et se réveille un jour dans la peau d’une créature monstrueuse. Récit court et facile à lire mais d’une grande densité, il peut cependant être difficile de rentrer dans l’histoire tant les premières lignes sont déstabilisantes. Elles décrivent en effet un univers très étrange, assez cauchemardesque, et qui nous met très vite mal à l’aise. C’est néanmoins ce cadre fantasmagorique qui en fait une lecture aussi géniale et profonde, tant dans la dynamique de l’intrigue que dans l’écriture de Kafka.
Lorsque Gregor Samsa s’éveilla un matin, au sortir de rêves agités, il se trouva dans son lit métamorphosé en un monstrueux insecte.
Nous le disions plus haut ; Gregor Samsa se réveille dans la peau d’une créature monstrueuse. Dès l’amorce du roman, la première ligne souligne deux éléments importants du récit qui mérite réflexion : cette fameuse sortir du sommeil, où tout le monde de Gregor est chamboulé, et la métamorphose elle-même.
Pour la première, c’est en effet lorsque Gregor se réveille, et donc quitte le monde des rêves, qu’il se trouve plongé dans cette situation irréelle et invraisemblable, tout à fait paradoxale puisque que le sortir du sommeil symbolise normalement le retour à la réalité. L’écriture de Kafka, et la situation dans laquelle est plongée Gregor, en revanche, démontrent tout le contraire, et c’est parce que cette métamorphose a lieu dans ce qui semble être la réalité qu’elle est si étrange. Cependant la réaction de Gregor face à sa métamorphose, ou plutôt son absence de réaction, tendrait presque à nous faire penser qu’il s’agit d’un événement banal et mineur, et amène donc la question suivante ; la réalité est-elle un rêve, ou le rêve est-il la réalité ? Qu’est-ce qui est réel ? Vastes interrogations que celles-ci, qui nous déstabilisent et nous étonnent ; impossible de savoir si nous nous trouvons dans un cauchemar ou non, parce que comment ne pas penser, dès lors, que le réveil n’est autre que l’entrée dans le monde des rêves, et non son sortir ? Difficile, en tant que lecteur, de nous repérer dans l’espace et le temps lorsque Kafka commence son récit de cette manière.
Est-ce que je ne ferais pas mieux de dormir encore un peu et d’oublier toute cette bouffonnerie ?
En ce qui concerne la métamorphose elle-même, comme soulignée plus haut, elle ne semble guère étonner Gregor : c’est tout juste s’il s’inquiète par rapport à sa propre personne, trop préoccupé par les répercussions sur son travail et sa famille. La situation dégénère très vite ; il effraie son directeur, ses parents et sa soeur, et est contraint de rester confiné dans sa chambre, tel un vulgaire parasite. Pourtant, il est à souligner que lui-même paraît effrayé des autres ! Mais plus précisément, ce mot de monstrueux, pris de manière isolée, peut se traduire de plusieurs manières ; une personne peut être monstrueuse d’aspect, mais également dans un sens beaucoup plus psychologique du terme. Au final, Kafka, dans cette première ligne, reste assez vague quand à ce qui fait la nature du caractère monstrueux chez Gregor, bien qu’il le précise transformé en insecte. Ce mot de monstrueux peut tout autant faire référence au physique de Gregor, qu’à son esprit ; il se réfère surtout à sa nature. Mais par nature, qu’est-ce qui rend Gregor si monstrueux ? On définit d’ailleurs le mot de monstrueux comme un écartement des normes habituelles, ce n’est donc ni plus ni moins qu’une différence même si le monstre revêt un caractère beaucoup plus péjoratif et menaçant. D’où la deuxième question ; qu’est-ce que la norme et qu’est-ce la différence ?
Je ne veux pas, devant cette horrible bête, prononcer le nom de mon frère et me contente de dire il faut nous débarrasser de ça.
La Métamorphose ne décrit pas seulement la transformation physique et psychique de Gregor Samsa, elle couvre également celle de sa famille et de son environnement de manière plus générale. Contraint de rester à l’écart de sa famille, dont il semblait auparavant relativement proche – qui compte d’ailleurs sur le travail de Gregor pour vivre aisément – les trois autres Samsa changent d’attitude envers leur fils, en deviennent effrayés ; Gregor n’est plus une providence pour eux, mais une menace directe. La métamorphose peut être aussi un lien, justement, à cette réalité qui prend des allures de cauchemar, et enfin, au caractère changeant des uns des autres, comme le démontre parfaitement le comportement de la sœur de Gregor, qui paraît être au début la plus compatissante face à sa situation et qui dévoile son caractère hypocrite à mesure que le récit progresse ; de casanière, elle passe à une jeune femme qui se prend en main ; même exemple pour le père, à l’origine faible et somnolent qui devient pas la suite vigoureux. Pour aller plus loin, nous pourrions aussi penser que le titre fait référence au changement des conditions vies des Samsa, qui passent d’aisées à en difficulté financière.
La grave blessure de Gregor, dont il souffrit pendant plus d’un mois, sembla – car la pomme demeura fichée dans la chair comme un souvenir tangible, personne n’osant l’enlever – avoir rappelé même au père que Gregor, malgré sa forme actuelle, triste et répugnante, était un membre de la famille que l’on n’avait pas le droit de traiter en ennemi, mais envers qui la famille avait le devoir absolu de ravaler son dégoût et de supporter, rien que supporter
Il y a ainsi un réel renversement de la situation ; alors que Gregor est devenu un monstre physiquement parlant, une créature qui n’a plus sa place dans la normalité de la vie, au plus nous nous incrustons dans sa nouvelle manière d’appréhender la vie en tant qu’être différent et difforme, et au plus les rôles s’inversent. Habitués au point de vue de Gregor, nous vivons avec lui sa métamorphose animale, et nous appréhendons avec lui sa nouvelle réalité en tant que minorité et alors que sa famille le considère comme un parasite, Gregor commence à les voir, à son tour, comme une menace potentielle. Chacun dans sa différence voit en l’autre l’ennemi, celui qui peut lui causer du tort ou lui faire du mal, et les actions de la famille de Gregor envers ce dernier tendent elles aussi à les décrire comme des monstres, cette fois-ci non pas physiquement, mais psychologiquement. Qui, de Gregor ou de sa famille, est le véritable monstre de l’histoire ? Qu’est-ce qu’un monstre ? Kafka joue avec tous les aspects de ce concept, ce qui n’est pas sans rappeler l’histoire du monstre de Frankenstein, qui elle aussi interroge la notion de la monstruosité.
Était-il un animal, alors que la musique le bouleversait tant ?
La Métamorphose de Gregor donne également lieu à un changement de point de vue, puisqu’il passe peu à peu d’un esprit humain à un esprit animal. Comment survivre quand l’homme pense, mais que l’instinct animal prend le dessus ? L’écriture relate ainsi une transformation profonde de l’homme quand il est réduit à l’état d’animal, dont il nous donne la perception : sa peur nouvelle de sa famille et de leur bruit, son appétit pour la nourriture avariée, l’envie marcher au plafond… Ainsi, Gregor a beau avoir majoritairement vécu en tant qu’humain et en posséder la conscience, il adopte peu à peu le monde de vie de la créature à s’adapte à sa nouvelle réalité, à sa nouvelle identité sans aucune échappatoire possible. La métamorphose passe du physique à l’esprit, elle se complète, parce que la différence ne fait pas dans la demi-mesure ; Kafka nous montre ainsi l’impossibilité d’échapper à notre condition et à notre identité. Nous pourrions presque penser qu’il s’agit d’une forme de déterminisme social.
Et ce fut pour eux comme la confirmation de ces rêves nouveaux et de ces bonnes intentions, lorsqu’en arrivant à destination ils virent leur fille se lever la première et étirer son jeune corps.
Mais la Métamorphose, c’est avant tout le récit du propre cauchemar de Kafka, et de sa propre angoisse, du propre dégoût de sa personne. En Gregor Samsa, métamorphosé, Kafka projette sa propre réalité et la manière dont il se voit : tel un monstre, rejeté par les autres qui deviennent ses tyrans, un paria de la société. La métamorphose, c’est l’angoisse de Kafka, sa perception de sa propre différence avec le reste du monde. Il se voit, et il se pense perçu comme un créature repousse, indigne d’amour et qui ne suscite que dégoût et terreur autour de lui, créature bizarre dont l’existence pèse sur les autres et finit par susciter la haine plus que la pitié ou la compassion. La mort misérable de Gregor, seul et rejeté, craint par sa propre famille symbolise le paroxysme de l’angoisse qui ronge Kafka, connu pour ses problèmes d’hypocondrie et de dépression, et qui finira par succomber en 1924 à la tuberculose, contracté dès 1917. Le changement plus ou moins positif des trois Samsa suite à la transformation de Gregor – le père devient vigoureux, alors qu’il était somnolent, la sœur se prend en main… – est un reflet de l’angoisse qui pèse chez l’auteur, l’impression que son existence atrophie celle des autres et que sa dégradation personnelle ne peut qu’entraîner une amélioration chez les autres.
Ainsi, la disparition de Gregor entraîne un renouveau glorieux pour la famille Samsa, à laquelle Gregor ne manque pas du tout ; plus qu’un monstre, Gregor est devenue une réalité dérangeante, un poids qui les empêche d’avancer qui disparaît lors de sa mort solitaire et misérable. Gregor nous paraît ainsi être une personne à occulter, à dissimuler, à tenir à distance le plus possible. Pouvons-nous également pensé que la Métamorphose est aussi une des œuvres à poser les prémices du conflit mondial qui surviendra en Allemagne moins de vingt ans après sa publication ? Kakfa est en effet un allemande religion juive, le parti nazi, le NSDAP est fondé en 1920, seulement cinq ans après la publication du roman ; en 1933, Hilter est nommé chancelier. La manière dont Kafka se considère, par le personnage de Gregor, peut être aussi le reflet de sa propre « différence » en tant que juif face à ceux qui s’en méfient et le considèrent comme des monstres ; il y a dans la Métamorphose, cette peur de la différence, cette xénophobie qui ne sont pas sans rappeler les terribles événements survenus en 1939, et qui ont été construit sur des décennies entières. Tous comme les nazis se pensent promis à un avenir glorieux par l’extermination des juifs, la famille Samsa se sent soulagée lorsque Gregor meurt, seul, misérable et haï de tous.
Elle courut à la chambre à coucher dont elle ouvrit la porte en trombe et cria fortement ces mots dans l’obscurité : « Venez donc voir, il est crevé; il est là, il est couché par terre; il est crevé comme un rat. »
Moralité de l’histoire : nous sommes toujours le monstre de quelqu’un. L’écriture oppressante et angoissante de Kafka permet au cauchemar de prendre vie et retrace merveilleusement la montée de la haine de Gregor par sa propre famille, par ses propres semblables. Gregor n’est même pas tout à fait conscient de sa différence ; ce sont les autres qui le sont profondément et qui lui renvoie cette image. Récit fantastique, les causes de la métamorphose ne sont pourtant jamais expliquées, et il ne semble y avoir de retour possible à l’état normal des événements une fois que l’élément dérageant, Gregor, aura disparu ; cela peut-il signifier qu’une fois la différence soulignée, celle-ci ne se résorbe jamais dans l’esprit de l’autre ?
L’idée qu’il n’avait plus qu’à disparaître était, si possible, plus arrêtée encore dans son esprit que dans celui de sa sœur. Il resta dans cet état de méditation vide et paisible jusqu’au moment où l’horloge du clocher sonna trois heures. Il vit encore, devant sa fenêtre, le jour arriver peu à peu.
Le récit est à prendre de manière plus philosophique qu’il n’y paraît ; sans impliquer de transformation physique, il y a donc réellement un changement de perception de l’autre, reflet de la différence de pensée et d’être, et surtout, symbole de l’angoisse que chacun porte en soit.

Ne vous fiez pas à la petite taille du roman, ni à son nombre de pages ; la Métamorphose est un récit beaucoup plus dense et profonde qu’il ne semble l’être au premier abord. Si le titre fait évidement référence à la transformation de Gregor, c’est essentiellement celle de la famille Samsa qu’elle concerne, à mesure que la situation se dégrade pour le héros. Récit fantastique et cauchemardesque, la Métamorphose traite de l’angoisse de Kafka, de psychologie, mais avant tout, de l’autre, et de la société, de la notion de monstre et de celle de la différence.
Il faisait encore presque nuit sa sœur, déjà à peu près vêtue, ouvrit la porte du vestibule et regarda avec curiosité, et rentra sur la pointe de ses orteils comme dans la chambre d’un étranger.
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