Les Déracinés, Catherine Bardon

Deuxième lecture de 2021, première saga ! Direction l’Autriche des années trente, vers une Vienne brillante et intellectuelle dans laquelle Wilhem Rosenheck, journaliste culturel et admirateur de Stefan Zweig, rencontre Almah Khan, une étudiante en médecine dentaire dont il tombe instantanément sous le charme lumineux et ravageur. Alors que le régime nazi d’Hilter progresse et atteint l’Autriche, Wilhem et Almah, fou amoureux, font le pari de la fuite vers la République Dominicaine, où tout est construire, tout comme leur vie de famille, et leur bonheur.

Mais mon dieu. Quelle lecture ! Quel coup de cœur ! Je n’en reviens toujours pas. Cette histoire est tout simplement bouleversante, une pépite. Une premier tome phénoménal pour saga aussi prometteuse que cette de l’Amie Prodigieuse à mes yeux.

Il faut se déraciner.
Couper l’arbre et en faire une croix, et ensuite, la porter tous les jours.

Simone Weil.

Note : 5 sur 5.

TITRE : Les Déracinés

AUTEUR : Catherine Bardon

ÉDITÉ PAR : Pocket

NOMBRE DE PAGES : 784 pages

DATE DE PARUTION : 5 Novembre 2020

GENRE : Littérature contemporaine.

PRIX : 10,50€ (poche) / 9,99€ (e-book) / 21,90€ (broché)

RÉSUMÉ : Almah et Wilhelm se rencontrent dans la Vienne brillante des années 1930. Après l’Anschluss, le climat de plus en plus hostile aux juifs les pousse à quitter leur ville natale avant qu’il ne soit trop tard. Perdus sur les routes de l’exil, ils tirent leur force de l’amour qu’ils se portent : puissant, invincible, ou presque. Ils n’ont d’autre choix que de partir en République dominicaine, où le dictateur promet 100 000 visas aux juifs d’Europe. Là, tout est à construire et les colons retroussent leurs manches. Pour bâtir, en plein cœur de la jungle hostile, plus qu’une colonie : une famille, un avenir. Quelque chose qui ressemble à la vie, peut-être au bonheur…

Au risque de me répéter : quelle lecture, les amis ! Depuis la saga de l’Amie Prodigieuse, difficile de se motiver et surtout de trouver un roman-fleuve aussi bon que celui d’Elena Ferrante. Mais cette fois-ci, Catherine Bardon a réussit à relever le défi et à publier un rival sérieux face à la saga italienne.

Je ne me sentais pas juif, mais simplement et profondément autrichien. J’étais né dans cette ville, comme mon père et ma mère avant moi. C’était mon univers, dans lequel je me sentais en confiance et en sécurité, et qui devait durer éternellement. L’Autriche était ma patrie, et être juif n’avait pas plus d’importance qu’être né brun ou blond.

Les Déracinés constitue le premier tome d’une saga familiale, et se concentre sur Almah et Wilhem, deux jeunes gens qui tombent éperdument amoureux l’un de l’autre dans une Autriche qui perd de son intellectualité pour laisser entrer la violence et la haine de la guerre lors de l’Anschluss (annexation de l’Autriche par l’Allemagne nazie en 1938). Contraints de fuir leur pays en raison de leur appartenance à la religion juive, bien que ne s’en étant jamais particulièrement senti en être, Almah et Wilhem traversent le continent, un océan, avec l’espoir de trouver une terre d’accueil pour créer leur bonheur.

Le roman se divise donc en trois parties distinctes : la rencontre d’Almah et Wilhem dans une Autriche en proie à la désagrégation et à l’antisémitisme : le périple et l’arrivée du couple jusqu’à sa nouvelle terre d’accueil : la nouvelle vie du couple sur cette dernière. En toile de fond, toujours, les conflits mondiaux, la guerre nazie, et les conséquences de celle-ci une fois terminée pour le peuple juif. Récit d’un pan peu connu de l’histoire, depuis l’annexation de l’Autriche au plan de sauvetage des Juifs par le Joint (Jewish Joint Distribution Comittee) qui « soutient des projets d’installation des réfugiés » (pour en savoir plus sur le Joint, cliquez ici), en passant par la découverte de cette Autriche brillante et intellectuelle que nous ne connaissons pas.

Avoir vingt-cinq ans à Vienne était un privilège. C’était une époque brillante et stimulante, qui était encore un vrai creuset de création et, somme toute, le berceau de la modernité de tout l’Occident. (1931)

Les Déracinés est un premier tome d’une densité assez intense. Il exploite la vie sous toutes ses coutures, l’intimité physique, psychologique et mentale du couple d’Almah et Wilhem, les épreuves qui les soudent et les éloignent, la création d’une nouvelle vie, la peur face à la situation délétère, le bonheur de la naissance d’un enfant, la tristesse d’un perdre un, les amitiés profondes et les rancœurs qui durent… L’écriture de Catherine Bardon est profondément humaine, et exploite parfaitement la situation sociale comme toile de fond et comme fil rouge de son récit. Pas un seul mot ne laisse indifférent, pas un seul mot ne provoque pas soit la peur, soit la joie, soit l’incertitude. Elle décrit avec précision, sans aller jusqu’à celle, soporifique, de l’historien, les étapes qui se succèdent durant toute la période 1936-1961 ; la progression froide et terrifiante de l’Anschluss, la haine du Juif progressive dans ce pays pourtant remplie de brillants intellectuels, les conditions de vie dans les camps de concentration et de transferts, la peur de chacun de se faire déporter, tuer ou dénoncer, jusqu’aux quotas d’accueil des Juifs aux Etats-Unis, la difficulté de se faire à une nouvelle vie dans un autre pays, la condition de colon, sans jamais laisser dans l’ombre les enjeux politiques qui se jouent et qui pèse sur la vie de nos héros.

A partir du 17 août 1938, les Juifs du Reich durent accoler Israël pour les hommes et Sarah pour les femmes à leurs prénoms sur leurs papiers officiels.

Vous l’aurez compris, l’auteure fait la part belle à l’histoire dans son roman, et c’est complètement génial : expliqués, exposés, rattachés les uns aux autres, certains événements deviendront d’un seul coup beaucoup plus clairs si, comme moi, vous aviez des professeurs d’histoire qui parlaient de tout, sauf d’histoire – sauf celui de seconde et de prépa, mais ils n’enseignaient pas sur la SGM ces années-là… -. Ce que je sais au sujet de la SGM, je le dois pour beaucoup aux romans que j’ai lu, plus qu’à mes professeurs, et Catherine Bardon est la preuve que même une fiction peut nous en apprendre beaucoup, même par de simples petits détails – le suicide de Zweig, par exemple, l’apposition d’Israël (pour les hommes) et Sarah (pour les femmes) sur les papiers d’identité des Juifs à côté de leur prénoms, en plus du « J », les événements au sortir de la guerre qui mènent à la création d’Israël et au conflit israélo-palestinien, la dictature de Trujillo…

Le mythe de l’assimilation avait volé en éclats . Jour après jour, nous prenions conscience de notre situation de plus en plus précaire. Des écriteaux fleurissaient dans les parcs, dans les édifices publics, des lettres anonymes d’insultes ou de dénonciations atterrissaient dans les boîtes aux lettres.
Les juifs étaient diabolisés , des pestiférés en butte à l’hostilité générale et chaque jour était une nouvelle cure de désillusion.
Ce n’était plus un secret pour personne: l’intelligentsia Viennoise se bousculait aux frontières pour fuir aux Etats – Unis ou en Angleterre.
Les désertions s’enchaînaient à un rythme soutenu…

Pourtant, Catherine Bardon ne néglige absolument pas l’aspect fictif dans ce premier tome. La relation d’Almah et de Wilhem, et leurs aspirations personnelles sont bien le cœur du roman, et rythme l’histoire qui s’écoule sur près de 800 pages ! Toutes les phases de leur vie de couple sont racontées et mises en lumière, depuis leur rencontre jusqu’à leur fin. L’amour qu’ils se portent l’un à l’autre est inépuisable, invincible, et surtout, imparfait. Parce que l’amour, même le plus fort, n’est jamais sans difficulté et sans obstacles, il reste humain et fragile, précieux, et prêt à se briser à tout instant. Jamais l’écriture ne s’essouffle durant la longue épopée que connaissent ensemble Wilhem et Almah, jamais elle ne se perd, et c’est vraiment rafraîchissant.

Je ne sais pas où va mon chemin, mais je marche mieux quand ma main serre la tienne.

Ce n’est pas qu’une simple histoire d’amour que nous dévoile l’auteure, mais la profondeur et la force de liens beaucoup plus complexes que cela, la liaison de deux âmes. Tout comme leur vie et les événements autour d’eux, l’histoire de nos héros évolue.

Le temps ne guérit que les plaies superficielles, les autres se rouvrent à la moindre alerte.

Le travail en amont de l’auteure est particulièrement remarquable ici ; il est plus qu’évident que Catherine Bardon a effectué un minutieux travail de recherche pour retranscrire avec une véracité glaçante l’ambiance terrifiante et oppressante de l’époque, sans rien perdre de la psychologie humaine, finement dessinée. Le style de narration est lui aussi tout à fait remarquable ; tantôt depuis le point de vue de Wilhem, tantôt un point de vue omniscient. Cette dualité permet d’élargir notre champ de perception du roman, et nous approprier les personnages et la situation sous plusieurs angles, parce qu’à chaque histoire existe plusieurs versions. Ainsi, si Wilhem reste notre référent privilégié, il n’est pas le seul et l’auteure ne nous prive pas de la perception des autres personnages principaux. Les passages du point de vue de Wilhem ont d’ailleurs une double fonctionnalité, celle de nous incruster dans son esprit, mais également dans le récit, puisque notre héros, qui écrit son journal tout au long du récit, aspire également à écrire un roman – familial, cela va sans dire. Les passages à la première personne nous donne ainsi l’impression de lire le roman écrit de la main de Wilhem et nous enchâsse un peu plus dans le récit. Cependant, s’il n’a pas la chance d’achever son roman, la dernière page laisse la parole à un nouveau référent, symbole de l’éternel recommencement des événements, et surtout, de l’important de l’héritage familial.

Nous sommes encore assez jeunes pour prendre vraiment racine dans ce pays. Car sans racines, on n’est qu’une ombre.

Ce premier tome de la tétralogie les Déracinés est une réussite à de nombreux points de vues, historique, fictif, humainement, narrativement. Une très belle découverte, parfois difficile à lire en raison de sa densité et de sa complexité, mais qui ne laissera personne indifférent. C’est un roman sur tout, et à la fois sur rien ; une vie parmi toutes celles brisées, parmi tant d’autres dans cette époque qui nous a glacé, qui nous a tous affectés.
La lecture de ce premier tome saura vous grandir inévitablement ; son ton à la fois grave, désemparé et plein d’espoir, rivalise avec la saga d’Elena Ferrante, tant sur le plan social et historique que sur celui de la fiction pure et dure. Une fois que vous l’aurez lu, il sera difficile de ne pas se jeter sur le second tome ! Témoignage d’une société et d’une époque en mouvement, en proie à des horreurs innommable, Catherine Bardon réussit le pari de nous la faire ressenti plus que jamais, cette humanité qui se délite peu à peu. Nul doute que cette saga saura marquer tous les esprits, toutes les âmes et tous les cœurs. A dévorer de toute urgence !

La vie est faite de hasards qu’on ne peut contrôler et tous les si du monde n’y changeront rien.

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