Les Faux-Monnayeurs, André Gide

Aujourd’hui, je vous parle d’un classique de la littérature du début de XXe siècle ; les Faux-Monnayeurs d’André Gide, roman par ailleurs considéré comme l’un des précurseurs de la vague du Nouveau Roman, courant littéraire du XXème siècle (dans les années 40-50) qui consiste à un renouvellement des techniques romanesques.

Ce roman d’André Gide, publié en 1926, est considéré comme son premier vrai roman de l’auteur qui gagne le prix Nobel de littérature en 1947. L’histoire des Faux-Monnayeurs présente des intrigues multiples, qui s’entrecroisent, ainsi que de nombreux personnages, ce qui en fait une des œuvres les plus difficile à résumer en raison des nombreux sujets qu’elle aborde. Néanmoins, le lecteur dégage au fil de sa lecture, trois personnages principaux (Edouard, Bernard et Olivier) au cœur d’une intrigue qui se recentre autour des questions de l’homosexualité et de la parentalité. Œuvre au titre satirique à l’exemple des fausse pièces de monnaie sans valeurs qui circulent, les Faux-Monnayeurs est avant tout une belle pièce de réflexion à la narration non-linéaire, qui rejette les techniques traditionnelles du roman.

Note : 5 sur 5.

Un jour vient où l’être vrai reparaît, que le temps lentement déshabille de tous ses vêtements d’emprunt; et, si c’est de ces ornements que l’autre est épris, il ne presse plus contre son cœur qu’une parure déshabitée, qu’un souvenir… que du deuil et du désespoir.

TITRE : Les Faux-Monnayeurs

AUTEUR : André Gide

ÉDITÉ PAR :Editions Gallimard, collection Folio

NOMBRE DE PAGES : 378 pages

DATE DE PARUTION : 1925 (première parution)

GENRE : Littérature Générale, Classique

PRIX : 8,50 euros

RÉSUMÉ : « Depuis quelque temps, des pièces de fausse monnaie circulent. J’en suis averti. Je n’ai pas encore réussi à découvrir leur provenance. Mais je sais que le jeune Georges – tout naïvement je veux le croire – est un de ceux qui s’en servent et les mettent en circulation. Ils sont quelques-uns, de l’âge de votre neveu, qui se prêtent à ce honteux trafic. Je ne mets pas en doute qu’on abuse de leur innocence et que ces enfants sans discernement ne jouent le rôle de dupes entre les mains de quelques coupables aînés« .

L’analyse psychologique a perdu pour moi tout intérêt du jour où je me suis avisé que l’homme éprouve ce qu’il s’imagine éprouver. De là à penser qu’il s’imagine éprouver ce qu’il éprouve… Je le vois bien avec mon amour: entre aimer Laura et m’imaginer que je l’aime-entre m’imaginer que je l’aime moins, et l’aimer moins, quel dieu verrait la différence? Dans le domaine des sentiments, le réel ne se distingue pas de l’imaginaire. Et, s’il suffit d’imaginer qu’on aime, pour aimer, ainsi suffit-il de se dire qu’on imagine aimer, quand on aime, pour aussitôt aimer un peu moins, et même pour se détacher un peu de ce qu’on aime- ou pour en détacher quelques cristaux. Mais pour se dire cela ne faut-il pas déjà aimer un peu moins ?

Si les Faux-Monnayeurs est avant tout un roman très dense, recouvrant plusieurs intrigues, il s’agit aussi d’un récit de réflexion sur les techniques de narration et d’écriture elle-même. La principale caractéristique de cette œuvre, souvent pointée du doigt par les lecteurs, réside dans la narration non linéaire du roman. André Gide fait non seulement varier les points de vue, mais également les discours rapportés par l’auteur, qui intervient à quelques reprises dans le récit, le faisant apparaître parfois comme un journal intime, un journal de bord.

Cette œuvre présente aussi une mise en abyme puisqu’elle met en scène Édouard, un écrivain qui projette d’écrire un roman nommé Les Faux-Monnayeurs, et qui s’interroge sur la manière de raconter le récit et qui souhaite, comme Gide, s’éloigner du réel pour son œuvre ; le personnage d’Édouard peut être considéré comme une projection de Gide dans son œuvre, faisant varier le récit à une autobiographie fictive.

Je réfléchis beaucoup depuis quelque temps. Tenez…il y a quelque chose que je voulais vous demander : pourquoi est-il si rarement question des vieillards dans les livres?… Cela vient, je crois, de ce que les vieux ne sont plus capables d’en écrire, et que, lorsqu’on est jeune, on ne s’occupe pas d’eux. Il y aurait pourtant des choses très curieuses à dire sur eux. Tenez : il y a certains actes de ma vie passée que je commence seulement à comprendre. Oui, je commence seulement à comprendre qu’ils n’ont pas du tout la signification que je croyais jadis, en les faisant… C’est maintenant seulement que je comprends que toute ma vie j’ai été dupe. Madame de La Pérouse m’a roulé ; mon fils m’a roulé ; tout le monde m’a roulé ; le Bon Dieu m’a roulé…

Les genres sont donc multiples, tout comme les intrigues, et peuvent être appréhendés sous plusieurs angles (journal de bord, autobiographie, roman, essai), ce qui fait de ce roman un des précurseurs du Nouveau Roman. Ce courant apparaît au milieu du XXème siècle et se présente comme un mouvement qui rejette les ancienne caractéristique du roman ; présence d’intrigue, de personnage, de psychologie, et pose la question de la présence du narrateur ; de quelle manière intervient-il dans le récit ? Les Faux-Monnayeurs répond à l’ensemble de ces caractéristiques ; en effet, Edouard rejette l’idée de la psychologie de ses personnages cohérente, et le livre en lui-même ne possède pas réellement d’intrigues principale, se contentant pour la majorité de décrire une tranche de vie à un moment donné, sans objectif, sans dénouement, avec une histoire qui s’arrête brusquement.

Les deux autres grandes questions posées par le récit, ou du moins qui le régissent, se porte sur l’homosexualité, mise en scène par la relation entre Olivier et Édouard, qui s’aiment, mais qui n’osent pas se le dire, et sur la parentalité en la personne de Bernard, qui apprend ne pas être le fils de son père, de Laura qui se découvre enceinte après une relation adultérine avec Vincent, le frère d’Olivier, et avec le vieux de La Pérouse et son petit-fils Boris ; enfin, cette question se retrouve notamment dans la famille d’Olivier, entre une mère qui accepte beaucoup de ses trois fils et un père qui ne les connaît malheureusement pas.

Bien des choses échappent à la raison, et celui qui, pour comprendre la vie, y applique seulement la raison, est semblable à quelqu’un qui prétendrait saisir une flamme avec des pincettes. Il n’a plus devant lui qu’un morceau de bois charbonneux, qui cesse aussitôt de flamber.

En somme, une œuvre qui recouvre beaucoup de sujets, tant techniques que sociaux et littéraire ; ici, l’histoire n’est pas le sujet principal du roman, elle est un moyen pour l’auteur de s’interroger sur l’écriture et la littérature avec le journal intime d’Edouard et les revues littéraires de Passavant. La rivalité qui existe par ailleurs entre les deux écrivains que sont Edouard et Passavant peut d’ailleurs s’interpréter comme une rupture entre le roman traditionnel que représente Passavant avec son roman La Barre Fixe, clin d’œil ironique à la technique de narration classique, loin de la non-linéarité qu’illustrent Edouard et le courant du Nouveau Roman.

Pour les amoureux de ;la littérature, des mots, du classique et des lectures un peu recherchées, ce roman est don idéal pour vous. Bien que l’histoire ne paye pas de mine, la forme prime, pour une fois, sur le contenu. C’est une œuvre qui nous interroge et qui nous marque, d’autant plus qu’elle se lit très facilement. Les intrigues sont prenantes, bien que difficiles à suivre tant elles se multiplient et paraissent dérisoires. Pourtant, elles sont essentielles, représentatives de la société du début du XXème siècle avec des sujets sociaux, tels que l’honneur, l’amour, la famille. C’est une autre époque, avec de personnes d’un autre temps, toujours agréables à découvrir.

Les romanciers nous abusent lorsqu’ils développent l’individu sans tenir compte des compressions d’alentour. La forêt façonne l’arbre. À chacun, si peu de place est laissée! Que de bourgeons atrophiés! Chacun lance où il peut sa ramure. La branche mystique, le plus souvent, c’est à de l’étouffement qu’on la doit.

Le seul reproche que nous pourrions faire au roman, en dehors de sa difficulté à passer les cent premières page d’une – ou des intrigues – qui n’ont pas leur sens ni leur intérêt avant la rencontre du lecteur avec le personnage d’Edouard, et qui nous déroutent, tient en réalité du format de la collection Folio. Pour une œuvre aussi dense et complexe, le choix d’une police de plus en plus minuscule au fil des années chez la collection de Gallimard ne facilite pas la plongée dans ce roman pourtant très intéressant du point de vue de la narration et de la technique littéraire.

Les Faux-Monnayeurs, malgré une histoire dans le fond sans réel intérêt romanesque, mélangent plusieurs intrigues pour mieux les démêler et présente une tranche de vie au service de la réflexion narrative, technique, littéraire. Bien que le roman soit complexe et difficile à déchiffrer, il est avant tout protéiforme puisqu’il se lit tantôt comme un journal de bord, une autobiographie, un roman, un essai, une fiction.

Malgré des premières pages difficiles à passer en raison d’une absence d’intrigue romanesque forte et d’une police de caractère minuscule, inadaptée à la densité et l’ampleur de cette œuvre, nulle doute qu’elle saura à la fois vous divertir et vous interroger, si tant soit peu que aimiez vous prendre la tête !

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