Le Consentement, Vanessa Springora.

Dans son roman Le Consentement, Vanessa Springora, éditrice, parle de l’emprise qu’à eu sur elle Gabriel Matzneff (nommé G.), un célèbre écrivain accusé de faire l’apologie de la pédophilie avec ses romans controversés, qu’elle rencontre alors qu’elle n’a que 14 ans, et lui 50 ans. Un roman très poignant et scotchant, qui est le témoignage d’une époque et d’une manière de penser à glacer le sang.

Note : 5 sur 5.

Pourquoi une adolescente de quatorze ans ne pourrait-elle aimer un monsieur de trente-six ans son aîné ? Cent fois, j’avais retourné cette question dans mon esprit. Sans voir qu’elle était mal posée, dès le départ. Ce n’est pas mon attirance à moi qu’il fallait interroger, mais la sienne. 

TITRE : Le Consentement

AUTEUR : Vanessa Springora

ÉDITÉ PAR : Grasset

NOMBRE DE PAGES : 205 pages

DATE DE PARUTION : 02 Janvier 2020

GENRE : Témoignage, Littérature Contemporaine

PRIX : 18 euros

RÉSUMÉ : « Depuis tant d’années, je tourne en rond dans ma cage, mes rêves sont peuplés de meurtre et de vengeance. Jusqu’au jour où se présente enfin, là, sous mes yeux, comme une évidence : prendre le chasseur à son propre piège, l’enfermer dans un livre. »
Séduite à l’âge de quatorze ans par un célèbre écrivain quinquagénaire, Vanessa dépeint, trois décennies plus tard, l’emprise que cet homme a exercée sur elle et la trace durable de cette relation tout au long de sa vie de femme. Au-delà de son histoire intime, elle questionne dans ce récit magnifique les dérives d’une époque et la complaisance d’un milieu littéraire aveuglé par le talent et la notoriété.

Quelques heures, une après-midi, une nuit suffisent à dévorer ce témoignage à l’écriture froide et bouleversante. Les larmes ne sont jamais bien loin à mesure que l’histoire de Vanessa Springora progresse et qu’elle nous décrit, avec objectivité et une plume incisive, l’emprise dont elle a été victime. Dès les premières pages, nous sommes transportés et bouleversées par son écriture, et par ses mots chargés de sens et de douleur. Après un brève rétrospective sur son enfance et sa relation compliquée avec un père absent, démissionnaire et violent, et une mère passive, Vanessa Springora nous plonge dans son univers de jeune fille fragilisée par ce besoin d’être aimée et regardée, et pour son admiration du milieu littéraire dans lequel elle a été éduquée.

Très souvent, dans les cas d’abus sexuel ou d’abus de faiblesse, on retrouve un même déni de réalité : le refus de se considérer comme une victime. Et, en effet, comment admettre qu’on a été abusé, quand on ne peut nier avoir été consentant ? 

Alors qu’elle n’a même pas treize ans, et à l’occasion d’un dîner, elle rencontre Gabriel Matzneff, écrivain de cinquante ans. Profitant de sa vulnérabilité de petite fille en manque de figure paternelle bienveillante, celui-ci devient rapidement obsédée par elle, à tel point qu’il lui écrit des lettres d’amour, avant, finalement, de l’inviter à « prendre le goûter » chez lui. Cet instant scelle la relation sournoise et intime, perverse et pédéraste de Matzneff avec Vanessa Springora, durant les deux années qui suivront, et qui s’articule autour d’une manipulation psychologique glaçante dans laquelle Vanessa Springora disparaît peu à peu pour n’être plus que l’objet sexuel et d’écriture de Matzneff.

Je me surprends maintenant à le haïr de m’enfermer dans cette fiction perpétuellement en train de s’écrire, livre après livre, et à travers laquelle il se donnera toujours le beau rôle ; un fantasme entièrement verrouillé par son ego, et qui sera bientôt porté sur la place publique. Je ne supporte plus qu’il ait fait de la dissimulation et du mensonge une religion, de son travail d’écrivain un alibi par lequel justifier son addiction.

Les thèmes abordés, sont excessivement violents, bien que l’auteure n’essaient jamais de les accentuer, ou de les édulcorer ; au contraire, elle les raconte avec une vérité qui fait d’autant plus mal que le style est froid et objectif. Plusieurs pauses dans cette terrible lecture sont nécessaires pour calmer le cœur qui palpite, qui se glace et qui hurle durant la découverte des 200 pages du roman. Vanessa Springora nous décrit avec précision la manipulation psychologique que Matzneff exerce sur elle, comment il est arrivé à l’éloigner de ses proches, de sa famille ; comment il a réussi à lui faire accepter l’idée de sortir avec un homme bien plus vieux qu’elle ; comment la pédophilie ne peut être condamnable selon lui ; comment la société n’est pas prête à accepter leur amour, et à quel point cela est injuste, alors même que les actes de la jeune fille prouve ce désir d’échapper à cette relation malsaine, en totale décalage avec ce que son conscient, manipulé par G., lui dicte.

Les nombreux cris à l’aide, les appels au secours de Vanessa Springora restent sans réponse, malgré toutes les personnes qui croisent son chemin et auraient probablement pu la tirer de cette situation terrible.

A quatorze ans, on n’est pas censée être attendue par un homme de cinquante ans à la sortie de son collège, on n’est pas supposée vivre à l’hôtel avec lui, ni se retrouver dans son lit, sa verge dans la bouche à l’heure du goûter. De tout cela j’ai conscience, malgré mes quatorze ans, je ne suis pas complètement dénuée de sens commun. De cette anormalité, j’ai fait en quelque sorte ma nouvelle identité.
A l’inverse, quand personne ne s’étonne de ma situation, j’ai tout de même l’intuition que le monde autour de moi ne tourne pas rond.

L’attitude du pervers narcissique, et du pédophile sont évoquées sans détour et dans toutes les largeurs, avec, plus terribles encore, l’assentiment, et le consentement des adultes autour de la jeune fille qu’était Vanessa Springora. Alors que Matzneff fait ouvertement l’apologie de la pédophilie dans ses romans, et que plusieurs le dénoncent, l’homme n’est jamais pourtant poursuivi ; ses pairs, même, vont jusqu’à le défendre. Dans ce milieu aveuglé par le prestige, tout est pardonné à l’artiste au nom du talent et de la gloire. Gabriel Matzneff n’hésite donc pas à se servir de Vanessa Springora, met en place tout un stratagème pour se défendre, la poursuit une fois leur relation terminée, et n’accepte aucune responsabilité de sa part, allant jusqu’à la salir dans ses romans, à faire un récit d’elle qui la hantera durant des années… jusqu’à aujourd’hui.

Il fallait aussi surmonter la crainte du petit milieu qui protège peut-être encore G. Ce n’est pas négligeable. Si ce livre paraissait un jour, je pourrais faire face à de violentes attaques, de la part de ses admirateurs; mais aussi d’anciens soixante-huitards qui se sentiraient mis en accusation parce qu’ils étaient signataires de cette fameuse lettre ouverte dont il était l’auteur; peut-être même de la part de certaines femmes opposées au discours « bien-pensant » sur la sexualité; bref, de tous les pourfendeurs du retour de l’ordre moral …

Est-il nécessaire de préciser que Le Consentement est un roman d’une profondeur vertigineuse, et surtout terriblement lourd et intime à lire ? L’auteure nous invite véritablement dans son esprit, à connaître l’horreur dans laquelle cette relation abusive l’a plongée, et comment Matnzeff continue de la poursuivre et de la hanter, au sens propre comme au figuré. Mais plus qu’un témoignage de son expérience, c’est aussi la trace d’une époque, un roman qui interroge sur les dérive de la société artistique éblouie par le succès, un écho tristement poignant et glaçant à la remise des César de Février 2020.

Une lecture douloureuse mais riche, qui reste gravée dans les mémoire et qui change définitivement la façon d’appréhender le succès en nous mettant en garde contre les artistes prêts à tout, même au pire.

2 réponses à « Le Consentement, Vanessa Springora. »

  1. Avatar de Alice Delkinger

    J’ai très peur de lire ce bouquin. Je pense que j’appréhende cet aspect glaçant dont tu parles.

    J’aime

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